Le deuil dans un contexte de pandémie et distanciation sociale

Travail réalisé par Caroline Delannoy (EPP 2005).


A. Le deuil

Parmi les interventions du psychologue, ceux-ci sont et seront fortement sollicités afin d’accompagner les soignants et le public face au deuil, ainsi que pour sensibiliser et faire de la psychoéducation sur ces questions. 


Le déroulement du deuil normal est marqué par trois grandes étapes : le choc, la phase dépressive et la période de rétablissement. Le travail de deuil qui conduit à l’acceptation de la perte et au désinvestissement du défunt est nécessaire à l’investissement de nouvelles relations d’objet.


Il est important de signaler que parmi les deuils ne se déroulant pas selon un processus  dit « normal », se trouvent les deuils dits :

  • « compliqués », qui ne conduisent pas à un trouble psychiatrique caractérisé, 
  • et les deuils dit « pathologiques » (décompensation vers un tableau de maladie psychiatrique ou somatique). 


Si un accompagnement psychologique est encouragé pour les deuils dit normaux, un traitement plus important est souhaitable dans les deuils compliqués, et s’impose dans le cas des deuils pathologiques.

Nous souhaitons souligner l’importance du travail de prévention qui peut permettre d’éviter, ou diminuer la survenue d’un certain nombre de deuils pathologiques.

Nous recommandons l’approfondissement de ces aspects via la synthèse complète du Dr Laure Angladette et Pr Silla M. Consoli (2010)


B. Contexte et facteurs vulnérabilisants vers un deuil compliqué et pathologique


De façon générale, ont été considérés comme facteurs de risques de deuil compliqué ou pathologiques (Dr Laure Angladette et Pr Silla M. Consoli - 2010):

  • le type de liens avec la personne décédée et la qualité de la relation préexistante,
  • les circonstances du décès : 
    • brutal et inattendu ; 
    • suicide ; 
    • homicide ; 
    • lors d’une catastrophe naturelle ou criminelle à grande échelle; 
    • décès dont la personne a été témoin ; 
    • les circonstances et façon dont l’annonce du décès a été réalisée ; 
    • caractéristiques spécifiques de l’endeuillé ;
    • les personnalités dites « borderline » ou état limite et antécédents psychiatriques ; 
    • deuils répétés ; 
    • difficultés professionnelles, désinsertion ou autres difficultés de vie ; 
    • état de santé précaire ;
    • les conditions difficiles de réalisation des rites communautaires voire son absence ;
    • la qualité du soutien de l’environnement familial et amical.


La crise sanitaire liée au Covid-19 provoque des bouleversements individuels et collectifs dans tous les champs de notre vie sociale, et cumule les facteurs de risques décrits plus haut : le confinement, la réorganisation des services de médecine, la multiplications de procédures rigoureuses et stricts de soins, et les mesures exceptionnelles de restrictions de rassemblement de personnes, des visites des personnes malades, touchant même les funérailles.


En termes de contexte, il peut être intéressant de rappeler ici les représentations des français sur le deuil, rassemblés dans la synthèse publiées le 23 avril 2019 suite à l’Enquête Empreintes CSNAF réalisée par le CREDOC. Le deuil est selon ce rapport : 

  • majoritairement associé à un état de tristesse, puis l’enterrement et la mort,
  • associé à la dépression pour les plus jeunes et les femmes,
  • associé à des difficultés administratives pour les plus âgés et les hommes.


1. Absence de rites funéraires et réorganisations et nouvelles procédures de soins

Depuis le 16 Mars 2020, les rassemblements de plus de 20 personnes sont interdits, concernant également les funérailles. Une grande partie des proches des défunts n’ont pas pu et d’autres ne pourront alors pas assister aux cérémonies. Les spécificités du deuil dans ce contexte tiennent dans l’impossibilité de réaliser deux aspects essentiels du rite funéraire : se rassembler autour d’un corps et prendre conscience ensemble de la perte concrète.

Un rite est un ensemble de règles qui définit une cérémonie, c’est-à-dire une célébration reconnue par un groupe social. Il rythme une société, donne des règles, des perspectives et représente ainsi un « instrument d’ordre social » (Offenstadt, 1998). Ces rites existent depuis toujours, sous différentes formes et dans toutes les civilisations. Aussi le rite funéraire concerne tant le défunt que les vivants : il permet de donner un sens à la disparition, une finalité au défunt. 


2. Le vécu actuel des soignants

Le rapport du Collège des psychologues de la SFAP (15 avril 2020) fait état d’une épreuve traumatique pour ces nombreux soignants : 

  • des soignants amenés à accompagner des patients en fin de vie sans y avoir été préparés en raison des réorganisations en urgence par secteurs dédiés au Covid pouvant leur générer la peur de mal faire,
  • culpabilité des soignants alimentée par le désarroi des proches du fait de l’application des mesures de restrictions de visite,
  • impact plus important sur les soignants quant à la confrontation face à la mort en raison des protocoles hygiénistes et sécuritaires des toilettes mortuaires, ceci pouvant exacerber l’aspect traumatique de la mort.


Ainsi confrontés de manière récurrente et en masse à la mort des patients atteints du Covid19, les soignants peuvent souffrir de la séparation, faisant référence ici à la douleur du deuil. Ils peuvent également être touchés des effets de la mort, de sa brutalité, du nombre très important, du cumul, des conditions de fin de vie. 

Le psychologue n’échappe pas à ce vécu. Il a de fait à accueillir son expérience et ressenti tout comme il l’encourage pour les soignants et personnes qu’il accompagne, et trouver un espace d’écoute pour lui en tant que personne et professionnel. 

"Tous les accompagnants vivent un deuil et ne peuvent échapper à la nécessité du travail de deuil, ce sont les deuils des accompagnants » M. Hanus (1998).


3. Le vécu actuel des personnes atteintes du Covid19 hospitalisées 

Parmi ces facteurs de risquent, le confinement et les restrictions de visite ont des conséquences psychopathologiques majeures chez les patients en fin de vie, lesquelles ont une incidence sur le deuil des personnes témoins de ces vécus : soignants, accompagnants, et proches.

Il est observé chez ces patients hospitalisés (Collège des psychologues de la SFAP - 15 avril 2020):

  • une majoration de la confusion liée à l’absence de visites, 
  • l’angoisse de mort augmentée par l’idée de ne possiblement jamais revoir ses proches,
  • une désorientation temporelle souvent présente pour les formes graves du Covid19, 
  • la perte d’espoir de guérison, 
  • une majoration du sentiment de solitude et anxiété,
  • la crainte de ne pas récupérer leurs fonctions cognitives et psychomotrices (pour les patients en réanimation).


A ces vécus d’ajoutent les contextes difficiles comme :

  • le d’un proche du malade,
  • se voir refuser le droit de rencontrer un représentant du culte quand les jours paraissent comptés, 
  • savoir qu’en cas de décès les rituels funéraires ne pourront pas être réalisés ou qu’un rapatriement dans le pays d’origine est impossible.


4. Le vécu actuel des proches 

Ces effets sont constatés (Collège des psychologues de la SFAP - 15 avril 2020) : 

  • les troubles du sommeil et de l’alimentation,
  • sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir être physiquement présents pour prendre soin et soutenir,
  • anxiété et culpabilité d’avoir été éventuellement vecteur du virus ou de penser ne pas avoir tout fait pour alerter plus tôt les professionnels de santé au sujet de la gravité des symptômes, 
  • crises d’angoisse nombreuses, particulièrement dans l’attente de nouvelles de l’hôpital qui peut devenir insoutenable pour certains,
  • présence d’un clivage pouvant leur faire occulter leur propre souffrance pour mettre en avant leur gratitude face au travail des soignants (effet de l‘héroïsation des soignants largement relayée par les médias)


Le deuil pour les enfants

Parler de la mort à des enfants et adolescents dans un contexte socioculturel où elle peut être tabou et cette pandémie est une démarche délicate. La distanciation sociale complique le déroulement des accompagnements normalement réalisés en présentiel, sans parler des parents eux-mêmes impactés par les effets de cette crise et de la perte dans ce contexte difficile. 

Les parents peuvent, avant même de consulter un psychologue, être assaillis par beaucoup de questions comme « est-ce nécessaire de parler de la mort à leur enfant ? A partir de quel âge peuvent-ils l'évoquer ? ».

Il n’est pas sans rappeler que les enfants sont sensibles aux capacités de leurs parents à vivre ces situations. Le travail d’accompagnement devra se réaliser avec les parents.

Pour aller plus loin : 

consulter les fiches synthèses Empreintes - Accompagner le deuil en contexte de COVID 19 (partie sur les enfants). 

http://www.sfap.org/system/files/kit_empreintes_accompagner_le_deuil_en_contexte_de_covid_19_3.pdf


Références bibliographiques

Do, T. D., Angladette, L., & CONSOLI, S. M. (2010). DEUIL NORMAL ET PATHOLOGIQUE. La Revue du praticien (Paris), 60(1).

article : http://ecn.bordeaux.free.fr/ECN_Bordeaux/Mod_6_Douleur_files/RDP_2004 deuil 70.pdf

Bacqué, M. F. (2015). Voir ou ne pas voir le corps du défunt. (P. U. Grenoble, Éd.) Jusqu'à la mort accompagner la vie, 2(121), pp. 73-82.

Goldenberg, E., (1998), Comment aider des soignants en souffrance ? Soins infirmiers, 5, p. 11-15.

Offenstadt, N. (1998). Le rite et l'histoire. Remarques introductives. Hypothèses, 1(1), 7-14.


Synthèse complète - Effets Covid19 - Collège de Psychologues de la SFAP

article : http://www.sfap.org/system/files/communique-psychologues-15avril2020-def2.pdf


Wakam, G. K., Montgomery, J. R., Biesterveld, B. E., & Brown, C. S. (2020). Not Dying Alone—Modern Compassionate Care in the Covid-19 Pandemic. New England Journal of Medicine.

article : https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMp2007781



Recommandation Sites pour les psychologues 


SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs)

Synthèse complète - Effets Covid19 - Collège de Psychologues de la SFAP

http://www.sfap.org/system/files/communique-psychologues-15avril2020-def2.pdf


Guide très utile, complet et synthétisé : 

Accompagner le deuil en contexte de pandémie Covid-19 - Fiches repères et informations utiles sélectionnées par l’équipe d’Empreintes.

Thèmes : 

● Prise en charge du corps

● Rôle des soignants en fin de vie

● Rôle des rites funéraires

● Vivre un décès en temps de confinement

● Soutenir les personnes en deuil

● Penser l’après confinement

http://www.sfap.org/system/files/kit_empreintes_accompagner_le_deuil_en_contexte_de_covid_19_3.pdf


APA 

A new approach to complicated grief

https://www.apa.org/monitor/nov04/grief


Grief and COVID-19: Saying goodbye in the age of physical distancing

https://www.apa.org/topics/covid-19/grief-distance


Grief and COVID-19: Mourning our bygone lives

https://www.apa.org/news/apa/2020/04/grief-covid-19


Centre national des soins palliatifs 

FIN DE VIE ET DEUIL : https://www.parlons-fin-de-vie.fr/je-suis-un-proche/laccompagnement-du-deuil/


COVID-19 : COMMENT ORGANISER DES OBSÈQUES DANS LA DIGNITÉ POUR LES PERSONNES EN SITUATION D'ISOLEMENT ET DE PRÉCARITÉ ? : https://www.parlons-fin-de-vie.fr/wp-content/uploads/2020/04/note_biblio-2_14_avril-1.pdf


Fondation Croix Saint Simon

Deuil de soignants : une souffrance à penser : https://vigipallia.parlons-fin-de-vie.fr/Documents/Catalogue/SYN_Maubon_201104.pdf - Marielle Maubon, psychologue clinicienne


Les rites funéraires en France et dans le monde occidental : https://vigipallia.parlons-fin-de-vie.fr/Documents/Catalogue/SYN_Dupont_2004.pdf


CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie)


Le vécu du deuil : quelles évolutions en 3 ans ? Les Français face au deuil 2019 (Enquête Empreintes CSNAF réalisée par le CREDOC) 

https://csnaf.fr/sites/csnaf.fr/files/publications assises_du_deuil_les_francais_face_au_deuil_2019_credoc_rapport_complet-min.pdf


Liens pour le public : 


La littérature de jeunesse et la mort : des livres pour la dire…

Est-ce nécessaire de parler de la mort à un enfant ? A partir de quel âge peut-on l'évoquer ? Comment en parler alors qu'elle est synonyme de souffrance, de tristesse, d'irréversibilité ? Que dire ? 

Sélection d'ouvrages évoquant les thèmes de la maladie grave, de la mort et du deuil : https://vigipallia.parlons-fin-de-vie.fr/Documents/Catalogue/SYN_Carvillede_200902.pdf


Organisations - point écoute

Vivre son deuil :  http://vivresondeuil.asso.fr/

Pendant la période de confinement liée au Covid 19, l’association reste joignable au 06 15 14 28 31 et nous répondons toujours à vos mails sur : fede.vivresondeuil@gmail.com


Association Empreintes : https://www.empreintes-asso.com/actualites/__trashed/

Ligne d’écoute téléphonique nationale au 01 42 38 08 08

Contact par mail pour solliciter un rendez-vous téléphonique ou une information accompagnement@empreintes-asso.com


Cellule d’écoute - Centre régional du Psychotraumatisme Paris Nord

Lundi au vendredi de 10h à 17h - 01.48.95.59.40

mar email : psychotrauma.avicenne@aphp.fr